A Bollandist Rebuttal in the Francis Xavier Debate

The following French text is one source of many being put together for a major article in development on St. Francis Xavier speaking in tongues.

The debate surrounding Francis Xavier supposed speaking in tongues is one of the larger pieces to fit in with the narrative of the christian doctrine of tongues. For this reason, particular attention to detail is being made to properly document and explain this topic.

The text taken is from Analecta Bollandiana – one of the foremost and longest running Catholic-based publications on the lives of the saints.

The article is a refutation against Andrew Dickson White — a late nineteenth-century Protestant professor at Cornell University who wrote in his book, A History of the Warfare of Science with Theology in Christendom that St. Francis never had the gift of tongues, only later legends and his canonization attached this.

The controversy greatly ventures into Protestant – Catholic polemics and apologetics. Overall, the argument over St. Francis is hardly about him, but symbolic of issues relating to the role of mysticism, miracles, the place of theology in critical analysis, and the function of science in the religious discussion. The gift of tongues is a by-product of these debates.

As found in Analecta Bollandiana. Carolus de Smedt et al, ed. Vol. XVI. Bruxelles: Société des Bollandistes. 1897. Pg. 53ff.


Les Miracles de S. François Xavier

Dans un récent ouvrage de M. André Dickson White; ancien professeur d’histoire à Cornell University (Ithaca, États-Unis), un chapitre entier est consacré à la question des miracles de S. François Xavier.

Voici comment l’auteur a été amené à traiter ce sujet: Il a entrepris de montrer de quelle façon les faits merveilleux qui émaillent les Vies des saints, ne sont pas autre chose que le produit de l’évolution des légendes. Pour la plupart des saints; le manque de documents, la distance considérable de temps qui nous sépare de l’époque à laquelle ils vécurent, ne permettent pas de tracer les étapes successives que la croyance populaire a parcourues avant d’arriver au complet épanouissement dont la légende écrite représente le dernier terme. Il faut suivre ce développement dans l’existence d’un saint assez rapproché de nous et pour laquelle tous les documents sont en notre possession. C’est le cas pour la vie et les miracles de S. François Xavier.

Est-il besoin de dire que, sur la thèse générale défendue par M. Dickson White, nous sommes, du moins dans une certaine mesure, d’accord avec lui? Les documents hagiographiques, en effet, sont loin, tant s’en faut, d’étre tous d’égale valeur, et mieux que d’autres, les bollandistes savent avec quelle facilité et quelle richesse d’imagination certaines hagiographes, au moyen âge par exemple, ont forgé sans scrupule les miracles dont ils présentent le récit à leurs lecteurs. Toutefois, il y a lieu de distinguer soigneusement entre différentes catégories de Vies de saints. Certaine critique est trop portée à généraliser, et quand elle a découvert le procédé employé par quelque écrivain du moyen âge, elle prétend expliquer par le même procédé toutes les oeuvres hagiographiaques. C’est une erreur grave: Chaque cas requiert une étude particulière que la (Pg. 53) Légende de tel saint fabuleuse; on n’a rien fait pour les Actes de tel autre: En hagiographie surtout, il importe de se défier de l’application trop étroite du principe ab uno disce omnes.

Mais en voilà assez sur la thèse générale soutenue par M. Dickson White, que du reste nous n’avons pas l’intention d’examiner plus au fond. C’est, au contraire, le cas particulier de S. François Xavier qui nous intéresse davantage, et qui nous parait mal choisi pour appuyer la théorie de l’auteur sur les miracles qu’on lit dans les Vies des saints.

I

Voici comment procède l’argumentation de M. Dickson White; nous l’analyserons d’abord tout entière pour n’eu pas affaiblir la portée.

Dans toute la correspondance de Xavier, si volumineuse pourtant, si détaillée, on ne relève pas la moindre trace d’un fait miraculeux. Bien au contraire, les biographes ont souvent travesti des faits rapportés par Xavier. Ainsi, un jour qu’il faisait voyage avec un ambassadeur, un serviteur de celui-ci fut sur le point de se noyer: Xavier raconte que l’ambassadeur se mit en prière et cette délivrance au compte de l’apôtre des Indes.

Quand il arriva à Lisbonne, Xavier trouva Simon Rodriguez malade de la fièvre. Rodriguez fut si heureux de revoir Xavier que du coup il se trouva guéri. A cela rien d’étonnant; car la joie de revoir Luther eut un résultat égal sur la santé de Melancthon. Ailleurs, Xavier raconte qu’ayant baptisé une pauvre femme indienne très malade, elle recouvra la santé.

Tels sont les faits, bien simples et nullement surnaturels, que Xavier rapporte lui-même et qui seuls ressemblent de loin à des prodiges. En effet, c’est sur eux qu’on a bàti tout l’échafaudage de la légende des miracles de Xavier.

Les collaborateurs de l’apôtre ne parlent pas de ses miracles; ainsi la correspondence d’Emmanuel Acosta est absolument muette sur ce point. Bien plus, Xavier, qu’on nous représente comme ayant joui du don des langues, se plaint fréquemment des grandes difficultés qu’il éprove à s’assimiler les idiomes indigènes. En outre, si Xavier avait réellement accompli les prodiges que lui prétent si libéralement ses biographes, comment expliquer qu’en 1374, dix-neuf ans après la mort du grand thaumaturge, Joseph Acosta, provincial, pose, dans un de ses ouvrages, la question suivante : Cur miracula in conversione gentiu, non fiant nunc, ut olim, a Christi praedicatoribus? Quant au miracle de la préservation du corps de Xavier après sa mort, M. Dickson White (Pg. 54) rappelle d’autres faits du même genre, et qui eux excluent toute idée de prodige.

Voici maintenant comment l’évolution a commencé. En 1554, deux ans après la mort de S. François Xavier, Melchior Nuñez cite trois miracles, et encore ne les rapporte-t-il que par oui dire: Jean Deyro aurait, dit-il, affirmé que l’apôtre des Indes avait le don de prophétie; mais Deyro ne mérite aucune créance, Xavier lui-même dut le réprimander pour sa mauvaise foi. On ajout qu’au cap Comorin certaines personnes affirment vaguement que Xavier ressuscita un mort; enfin Paul de Sainte-Foi a entendu dire qu’on Japon Xavier rendit la vue à un aveugle.

Tel est le premier noyau de la légende; elle n’a plus qu’à se développer. Un an plus tard, en 1555, Quadros, provincial d’Éthiopie, connait déjà neuf miracles. L’année suivante, le roi Jean III de Portugal demande au vice-roi des Indes, Barreto, un rapport authentique sur les miracles de S. François Xavier. Le travail devait étre exécuté « avec rèle et promptitude ». On devine ce que l’obséquieuse flatterie du vice-roi, jaloux de plaire au monarque, réussit à obtenir des ignorants et crédules indigénes de toutes les petites villes de l’Inde portugaise.

Puis en 1562, Almeida rapporte toute une série de guérisons obtenues par un livre qui avait appartenu à Xavier. (Pg. 57) On le voit, la legende continue son évolution. Toutefois, elle n’a point encore osé affronter les milieux éclairés. Car, dans le discours prononçe la même année 1562, devant les Pères du Concile de Trente, par Jules-Gabriel Eugubinus, il n’est point fait mention des miracles de Xavier, malgré l’occasion favorable que l’orateur avait de les produire, étant donné le sujet qu’il avait choisi de traiter. De même, le P. Maffei en 1588 dans ses Historiae Indicae est très modéré relativement le dessus dans la Vie de S. François Xavier du P. Turselin, publiée en 1594, et dans le discours prononçe, lors de la canonisation de Xavier en 1622, par le cardinel del Monte. Celui-ci mentionne une série de dix miracles, parmi lesquels celui de l’écrevisse rapportant à Xavier le crucifix qu’il a lassé tomber au fond de la mer.

Après la canonisation de l’apôtre des Indes, la légende se donna libre carrière, et les divers biographes n’eurent qu’un souci, celui de dépasser leurs devanciers par le nombre et l’importance des prodiges. C’est surtout le cas de la Vie publiée sur l’ordre du P. Vitelleschi et de celle que composa Bouhours. Toutefois, ce dernier emporte la palme ; un seul détail suffira à le montrer. Alors que premiers biographes de Xavier parlent vaguement et timidement de la résurrection d’un mort, Bohours rapporte quatorze faits de ce genre. Autre exemple, (Pg. 55) Xavier lui-même et le P. Joseph Acosta décrivent avec insistance les pénibles efforts que dut faire l’apôtre pour s’approprier les idiomes de tant de peuples auxquels il alla porter la lumière de l’Évangile. Le P. Bouhors n’est point embarassé par ces aveux ; il déclare carrément que Xavier parlait toutes ces langues barbares, sans les avoir étudiées. Turselin reconnait ingénument que les prédications de Xavier en japonais, en leur langue, avec tant de naturel et d’aisance qu’on l’eut jamais pour un étranger.

M. Dickson White conclut en ces termes : « Il est incontestable que les orateurs et les biographes en général sont enclins à l’erreur. C’est pour eux la règle de penser, de parler et d’écrire, sous l’empire des lois naturelles qui régissent la luxuriante effloraison du mythe et de la légende, dans la chaude atmosphère de l’amour et de la dévotion qui s’attachent aux grands chefs religieux, en des temps où l’homme ignorait les lois de la nature, où l’on faisait peu de cas de recherges scientifiques, et où celui qui croyait davantage obtenait le plus large crédit. »

II

Avant de reprendre point par point l’objection formulée par M. Dickson White, une remarque préalable s’impose. En quoi consiste l’évolution prétendument constatée par lui dans l’histoire des miracles de S. François Xavier? Est-ce un reçit primitif se développant successivement sous la plume de nouveaux biographes, sans qu’aucun document ultérieur soit venu justifier les accroissements successifs subis par la première narration? Nullement, et l’évolution dont M. Dickson White nous a fait le tableau, n’a rien de commun avec celle d’autres légendes qui se transforment de leur propre fonds. L’évolution signalée par M. Dickson White, est celle qui se produit tout naturellement, lorsque des pièces nouvelles viennent continuellement enricher une biographie. Quand Xavier mourut à Sancian, le 2 décembre 1552, le bruit de sa mort fut lent à se répandre, et ce ne fut qu’en 1554, dat du retour de son corps à Goa, que l’histoire commença à s’emparer de l’apôtre des Indes. Ses Frères d’abord, ensuite les Portugais répandus dans tout l’Extrème Orient, se firent l’écho des faits merveilleux qui se racontaient partout. Puis il y eut l’enquète ordonnée par Jean III et le procès juridique instruit par l’archevéque de Goa, autant de documents nouveaux qui vinrent enrichir l’histoire de S. François Xavier. Il n’est donc pas surprenant que pendant un certain nombre d’années la liste des miracles attribués à l’apôtre des Indes ait pu s’augmenter, et que les diverses notices publiées sur ce sujet, à différentes époques, soient plus abondantes les unes (Pg. 56) que les autres en faits miraculeux. Il y eut cependant une limite, c’est celle posée en 1623 par la bulle de canonisation d’Urbain VIII, et assurément rien n’est moins comparable à la composition d’un récit légendaire qu’une pièce officielle de la chancellerie romaine. Au XVIIe siècle déjà, s’observaient avec la plus grande rigueur les règles posées par l’Église pour la canonisation des saints.

Mais, dira-t-on, et M. Dickson White a insinué cette objection, peut-on ajouter foi aux témoins qui déposèrent dans l’enquête instituée sur l’ordre de Jean III et dans le procès que fit instruire l’archêveque de Goa? Rome a cru à ces témoins, et rien ne nous autorise à suspecter son jugement ; M. Dickson White n’a aucune bonne raison de se montrer plus exigeant que la congrégation des Rites, qui a pesé la valeur des témoins et apprécié l’exactitude de leurs dépostions. Il ne fut d’ailleurs pas si malaisé de choisir ces témoins et de contrôler leurs affirmations. M. Dickson White parle des « ignorants et crédules indigènes des petites villes de l’Inde portugaise ». Il est commode de rejeter en bloc ces témoins, sous le méprisant prétexte que nous venons de rapporter. Mais on a interrogé d’autres personnes que celles que M. Dickson White traite si dédaigneusement. Parmi ces témoins, nous trouvons les noms de Rodrigue Diaz Pereira, aulae regiae patritus, de Gaspar de Cerqueiros Abreu, commandant de l’expédition japonaise, d’Emmanuel Fernandez, notable de Cochin, de don Marcio, ambassedeur du roi de Bungo. Il est superflu d’allonger cette liste, et nous ne prolongerons pas davantage non plu ces considérations sur la valeur du procès de canonisation. Quand on aura fait valoir des objections positives contre les témoignages, nous verrons ce qu’il y a à y répondre ; pour le moment, nous resterons dans le débat précis soulevé par l’ancien professeur de Cornell University.

Ce débat n’est pas aussi nouveau qu’on pourrait le penser. M. Dickson White n’a fait que reprendre pour son compte une thèse déjà ancienne. Même les arguments qu’on présente aujord’hui ne sont pas neufs, et il est assez piquant de signaler ce rejeunissement périodique de vieilles objections.
En 1734, le Dr Douglas, devenu plus tard évêque de Salisbury, publiait son Criterion ; or Rules by which the true Miracles of the New Testament are distinguished from the spurious Miracles of Pagans and Papists. Dans cet ouvrage, il parle des miracles de S. François Xavier, et voici ce qu’il en dit : « Pendant les trente-cinq années qui suivirent » la mort de Xavier, il ne fut pas question de ses miracles ; j’en ai pour la mort de Xavier, il ne fut pas question de ses miracles ; j’en ai pour preuve l’assertion de Joseph Acosta, qui lui-mème fut missionaire aux Indes, et qui dans son liver De procuranda Indorum salute, imprimé en 1389, trente-sept ans après la morte de Xavier, avoue que les missionnaires des Indes n’ont accomplie aucun miracle. »

On le voit, M. Dickson White n’a pas même le mérite de l’invention ; il n’a fait que répéter ce qu’après le Dr Douglas ont dit Le Mesurier, Hugh Farmer, Peter Roberts et R. Greer, pour ne parler que des écrivains anglais.

Finissons-en tout de suite avec l’affirmation relative à Joseph Acosta, dont M. Dickson White avec le Dr Douglas, a fait grand état. Il y a beau temps que le Dr John Milner, vicaire apostolique du district de Londres en 1818, a remarqué, dans son livre The End of religious Controversy, que le P. Acosta, contrairement aux assertions de plusieurs protestants, parle « du bienheureux maitre François », comme on appelait S. François Xavier avant sa canonisation, et voici ce qu’il dit : « De si nombreux et de si grands miracles ont été rapportés à son sujet » par témoins oculaires, que peu d’autres, si l’on excepte les apôtres, ont accompli de plus grands prodiges ». Le Dr Douglas et tous ceux qui l’ont suivi jusqu’à M. Dickson White inclusivement, ont tronqué le témoignage d’Acosta. Nous nous contenterons de signaler pareil procédé ; il se qualifie de lui-même. Il a déjà, et à juste titre, été reproché à M. Dickson White par le R. P. Thomas Hughes S. I., qui réfuta l’article du professeur de Cornell University, quand il parut pour la première fois dans les numéros d’août et de septembre 1891 de la revùe américaine The Popular Science Monthly. L’ouvrage que publie aujourd’hui M. Dickson White n’est en effet qu’un réédition d’articles qui ont paru dans la revue que nous venons de citer. Pourtant l’auteur a eu connaissance des deux articles que le R. P. Thomas Hughes consacra à son étude sur les miracles de S. François Xavier. Cela ne l’empêche pas de reproduire, malgré le texte si formel qui lui a été opposé, l’assertion gratuite du silence d’Acosta relativement aux prodiges de l’apôtre des Indes. Cette récidive n’améliore pas le cas de M. Dickson White.

III

Il est temps d’aborder en détail les arguments que fait valoir le professeur de Cornell University pour établir le caractère légendaire des miracles de S. François Xavier. Le premier de ces arguments est tiré des lettres du saint missionnaire. Nulle part, dit M. Dickson White, il n’y est fait allusion à des prodiges qu’il aurait opérés. Observation au moins naïve, et qui prouve que l’écrivain américain n’a guère compris le caractère de Xavier. Autant l’ancien professeur de Saint-Barbe avait autrefois recherché la gloire humaine, autant le disciple d’Ignace (Pg. 58) s’efforce d’ensevelir dans le plus profond oubli les merveilles que Dieu opère en lui par lui. Non, ce n’est pas à Xavier qu’il faut demander s’il a fait des miracles; et l’on sait que le jour où on lui posa nettement la question s’il avait ressuscité un mort, il esquiva la réponse.

Mais, insiste M. Dickson White, les contemporains et les collaborateurs de Xavier n’avaient pas les mêmes raisons de se taire, et pourtant ils ne disent rien des miracles de l’apôtre. La correspondance à laquelle l’auteur fait allusion, est celle contenue dans les Epistolae Japanicae de multorum in variis Insulis Gentilium ad Christi fidem conversione, Lovanii 1570. C’est à ce recueil que M. Dickson White en appelle lui-même. Or si nous analysons cette correspondance, qu va de 1549 à 1564, nous voyons que sur les vingt-neuf lettres qui composent le recueil, cinq sont de François Xavier et par conséquent hors de cause; les autres sont postérieures à la mort de l’apôtre des Indes, et par suite ne rentrent pas dans les conditions où M. Dickson White a placé le débat. Du reste, quoi qu’on en ait dit, il y est assez rarement question de S. François Xavier. Les auteurs des lettres adressées aux supérieurs rendent le plus souvent compte de leurs propres travaux.

N’oublions pas non plus que Xavier fut presque toujours seul dans ses courses apostoliques, ou du moins sans être accompagné d’un autre père de la Compagnie, surtout pendant les premières années de son séjour aux Indes. Les anciens missionaires ne furent donc pas témoins des miracles de Xavier. Mais ils durent en entendre faire le récit? Peut-être, mais ce n’est pas certain; car tant que vécut Xavier; on semble avoir fidèlement respecté la défense qu’il fit aux témoins des prodiges que Dieu opérait en sa faveur.

Toutefois, les contemporains et les collaborateurs de Xavier sont moins muets au sujet de ses miracles qu’on veut le faire croire. Ainsi, Gaspar Barze dit, dans une lettre du 10 décembre 1548, en parlant de Xavier : « Tout à coup, le bruit courut que le Père Maitre François était mort; et chacun disait comment, à sa manière. Ses amis en furent tristes au delà de toute expression. « Quand il nous en coûterait, disaient-il, trente mille cruzados, nous le ferons canoniser » et ils racontèrent des miracles, de très grands miracles qu’il fit, vivant en ce pays : je ne vous les raconte pas, parce qu’il ne nous convient pas de parler de ces choses, si ce n’est à Dieu, pour lui en rendre grâces. (Pg. 59) Certes, nous sentirions bien, nous, le vide que ferait dans ces contrées la mort du Père François; mais nous ne laissons pas, pour cela, d’aller notre chemin ».

Dans une lettre de François Perez aux pères de Coimbre, et rapportée la double prophétie que François fit à Malacca de la victoire remportée par la flotte portugaise et de la mort d’Arausio. Cette lettre ne porte pas de date, mais le contexte montre qu’elle fut écrite du vivant de Xavier. Le même François Perez répète les mêmes faits dans un autre missive également adressée à Coimbre.

En 1543, Jean Vaz, licencié en théologie, qui fut pendant six mois le compagnon de S. François Xavier, raconta, à son retour de Rome, des choses merveilleuses à son sujet.

Il y a encore une allusion évidente aux miracles de Xavier dans les lignes suivantes écrites de Travancor, en 1548, par Balthasar Nuñez : « Dans les pays où il passa, il demeure de lui un tel renom, que ce que l’on en devrait dire ne paraitrait pas croyable. Ces choses-là, je ne veux pas écrire ; elles sont tellement dignes de considération qu’on ne doit pas les confier au papier. Si grand est l’éclat de la vie de Maitre François, que ne son nom est célèbre dans toute l’Inde. . . Quel regret j’ai de ne pas vous exposer en détail les merveilles que l’on raconte de Maitre Françoise ; j’en ressens plus d’ennui que vous n’en ressentirez. Sachez, et n’en parlez pas, que Dieu opère par son moyen beaucoup de choses desquelles, comme j’ai dit, il n’est point licite de parler ».

Parmi les contemporains que furent témoins de la vie et des prodiges de François Xavier, se trouve le fameux don Fernand Mendez Pinto. Parti de Lisbonne pour les Indes en 1337, il arriva au mois de janvier 1347 à Malacca. « Là, dit-il, nous treuuasmes le Reuerend Pere Maistre François Xauier, Recter vniuersel de la Compagnie de Iesus en ces contrées des Indes, qui depuis peu de iours estoit arriué de Molucques auec vne grande reputation de sainct homme, tiltre que tous les peuples luy donnoient pour les grands miracles qu’on luy voyoit faire ». Plus loin, Pinto rapporte au long le récit de la prédiction faite à Amboyne de la mort de Jean de Araujo, et de celle faite à Malacca de la victoire des Portugais. Après avoir rappelé cette double prophétie, Pinto ajoute : « l’obmets que par ce bien-heureux seruiteur de Dieu, » nostre Seigneur fist plusiers autres grandes merueilles, dont i’en ay (Pg. 60) veu quelques-unes et ay ouy dire les autres, desquelles ie ne fais point mention maintenant, pource que cy-apres i’ espere d’en rapporter quelques-vnes. » En effet, il raconte comment, durant la traversée du Japon à la Chine, où il accompagne Xavier, celui-ci, le 17 décembre 1531, apaisa une terrible tempête, et comment se vérifia prophétie de Xavier relative à don Alonso, gouverneur de Malacca.

En voilà assez, croyons-nous, pour mettre à néant l’assertion de M. Dickson White sur le silence absolu des contemporains et des collaborateurs de Xavier. Cette assertion est absolument controuvée, et les extraits que nous venons de fournir prouvent surabondamment que, dès son vivant, l’apôtre des Indes jouissait auprès de ses frères et de ceux qui l’avaient vu à l’œuvre, d’une réputation bien établie de thaumaturge. Sans doute, nous ne trouvons pas dans les relations des missionaires de l’Inde et du Japon, la trace de tous les miracles que l’enquête juridique révéla plus tard. Faut-il en conclure qu’il y à eu évolution de légende? D’aucune façon ; ce que nous avons dit tout à l’heure explique suffisamment certaines omissons, et nous avons déjà fait remarquer combien les frères de Xavier furent prudents et réserve un témoignage bien curieux dans le passage suivant d’une lettre du P. Balthasar Diaz : « Quanta alla morte de nostro Padre Francesco, molti uomini si ritrovarono in questa citta (Goa), quali si erano ritrovati in diversi luoghi con esso, e lo hanno visto fare e dire cost fra gl’ infideli, quali evidentemente erano sopranaturali e non minori di quelle che leggiamo delli Sancti antichi. Person di molto credito venivano da me dimandando, perchè non faceuamo inquisizione, e pigliavamo testimoni de queste cose, accio fosse canonizzato : ma perchè questo debbe essere fatto per persona autentica, e per altri rispetti onesti, non ho voluto io essere l’autore di questo . . . .

On a vu que, pour étayer sa théorie de la légende des miracles de S. François Xavier, M. Dickson White établit que de Maffei à Bouhours, l’évolution de ces prodiges suit un cours ascensionnel. « Maffei, dit-il, bien que rempli d’admiration pour son héros, passe légèrement sur les miracles, tandis que l’ouvrage de Turselin révèle un développment considérable dans le nombre des prodiges. »

Que répondre à cela? Il est oiseux de vouloir établir une comparaison, au point de vue qui nous occupe, entre Maffei et Turselin, parce que les deux biographes poursuivaient l’un et l’autre un but très différent. « D’autres, écrit Maffei, ont raconté ses prédictions infaillibles et ses miracles en plus grand nombre que nous ne l’avons fait, parce que (Pg. 61) nous nous proposions un autre dessein ». Il semble que Maffei avait prévu l’abus que M. Dickson White allait faire de son travail.

Quant à Turselin, il est intéressant de noter le changement d’attitude pris à son égard par M. Dickson White en 1891 et 1896. Lorsqu’en mai 1891, l’article sur les miracles de S. François Xavier parut pour la première fois dans The Popular Science Monthly, Turselin fut pris comme point de départ de l’évolution de la légende. M. Dickson White affirmait alors que le livre de Turselin était « maigre en fait de miracles ». Mais le R. P. Thomas Hughes releva vigoureusement cette assertion inexacte, et montra que Turselin, ce prétendu point de départ d’évolution, et qui, d’après le professeur de Cornell University, avait écrit un livre maigre en fait de miracles, en raconte cinquante et un opérés par Xavier de son vivant. Aussi M. Dickson White, dans la nouvelle édition de son travail; a-t-il déplacé Turselin sur l’échelle de l’évolution. Il était curieux de signaler ces variations, d’autant plus que dans une note de son livre, M. Dickson White écarte, avec une mauvaise humeur visible, les articles du P. Hughes; où il n’y a, d’après lui, que des affirmations sans preuves. Pas si peu que cela, nous parait-il, puisque l’affirmation relative à Turselin, affirmation du reste solidement établie par le P. Hughes, a produit tout son effet sur M. Dickson White. Il nous sera permis aussi de faire remarquer du professeur de Cornell University ; au contraire, ils prouvent, comme d’autres assertions que nos avons relevées, combien il s’aventure à la légère.

Il nous reste à répondre aux objections soulevées par le publiciste américain sur deux faits miraculeux relatifs à S. François Xavier : la conservation de son corps et le don des langues. Pour le premier fait, M. Dickson White l’ecarte d’une façon très sommaire, en rappelant d’un cadaver, sans qu’il y ait lieu de crier au miracle. C’est très vrai. Assurement, toute conservation de corps est loin de prouver une intervention extraordinaire de la Providence, et dans bien des cas, les lois naturelles fournissent une explication satisfaisante. Toutefois, en d’autres circonstances, cette conservation et absolutement contraire aux règles de la nature et échappe à toute interprétation scientifique. M. Dickson White aurait dù démonstrer, s’il avait voulu faire œvre de science sérieuse, que dans le cas particulier de S. François Xavier tout s’explique naturellement. Au lieu de cela, le professeur de Cornell University s’est contenté d’un paralogisme. Nous n’insisterons pas davantage sur ce point. Ce n’est pas ici le lieu de reprendre l’étude (Pg. 62) de la question de la conservation du corps de Xavier tant de fois élucidée, et nous croyons superflu de démontrer à nouveau que tout autre cadavre inhumé dans les conditions où le fut le corps de l’apôtre des Indes, eùt été la proie certaine de la destruction.

Le prodige de la vie de Xavier sur lequel M. Dickson White insiste le plus, est celui du don des langues, car là surtout il croit saisir sur le vif le travail de développement de la légende. Le nouveau critique refuse toute créance à ce don merveilleux; à ses yeux, c’est la crédulité des historiens complaisants qui en gratifié l’apôtre des Indes. Or M. Dickson White veut sure ce point s’en tenir exclusivement aux affirmations de Xavier lui-même. « Que nous apprend, dit-il, Xavier à cet égard? Au cours de toutes ses lettres, depuis la première jusqu’à la derniere, il ne cesse de décrire les difficultés qu’il éprouve à s’assimiler les différents idiomes des tribus si variées, au milieu desquelles il doit vivre. Il nous rapelle comment il essaya de surmonter ces difficultés, parfois en apprenant tout juste assez de la langue pour traduire quelques formules liturgiques, parfois en empruntant le secours des autres afin d’apprendre les éléments mêmes de la langue, d’autres fois en employant des interprètes. »

Voilà tout l’argumentation de M. Dickson White! Que prouve-t-elle? Que Xavier n’eut pas le don des langues en certaines occasions? D’aucune façon, elle montre seulement que S. François Xavier mit en œuvre tous les moyens humains que pouvaient lui mériter un secours surnaturel. L’argument de M. Dickson White fut déjà produit, lors du procès de canonisation de S. François Xavier, per Jacques Picenino, auquel le Cardinal Gotti répondit fort à propos que les difficultés alléguées par Xavier ne contredisent nullement le fait qu’en certaines occurrences Dieu lui donna, malgré ses rudimentaires connaissances des langues exotiques, d’être compris de ceux auxquels il s’adressait dans un idiome qui n’était pas le leur. Du reste, Xavier ne jouit pas continuellement de ce privilège, que semble ne lui avoir été accordé qu’une ou deux fois, à Travancor et à Amanguci. Il pouvait donc, quand Dieu ne l’assistait point d’une façon surnaturelle, éprouver toutes les difficultés dont il fait la description. Aussi accorderons-nous volontiers à M. Dickson White que le P. Bouhours qu’il cite à propos du don des langues, a passablement exagéré l’usage de cette prérogative. On sait d’ailleurs que chez le P. Bouhours les libres allures du littérateur ont assez mal servi l’historien.

Toutefois, en ce cas encore, M. Dickson White a mal posé la question ; ce qu’il s’agit de savoir, c’est si de preuves suffisantes attestent en (Pg. 63) Xavier le don des langues. Eh bien, le témoignages sont formels à cet égard, et pour dénier à Xavier la miraculeuse faculté de parler des idiomes étrangers ou de se faire comprendre par les peuples les plus divers en sa propre langue, il eût fallu démolir les témoignages produits au cours de procés canonique. Telle était la marche logique à suivre, tandis que les considérations émises par M. Dickson White n’entament d’aucune façon les témoignages positifs que affirment l’apôtre des Indes le don merveilleux des langues.

Nous croyons avoir fait justice des objections soulevées par M. Dickson White contre les miracles de S. François Xavier. Ceux-ci, nous le voulons bien, sont de nature à déconcerter les esprits que hante le dédain systématique de surnaturel ; mais vouloir expliquer par l’évolution de la légende la vie merveilleuse de Xavier, telle que nous l’ont transmise des historiens dignes de foi, c’est une entreprise illusoire et que les faits démentent formellement. En tout cas, l’essai tenté par M. Dickson White n’est guère encourageant, et nous croyons qu’on s’accordera généralement à le trouver peu réussi.


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